mercredi 5 octobre 2016

La ville que j'aime...



« Nom plutôt dense que sonore, doté de grande capacité par l'a qui l'ouvre tout grand en son milieu, et que gonfle de substance l'expansion de la syllabe nasale sur laquelle il s'articule. Nom beaucoup plus féminisé par sa désinence que je ne le percevais d'abord, de contours un peu flous, un peu flottants, mais que le pluriel vient nuancer d'une opulence étouffée, aussi substantielle que peu soucieuse de s'afficher. Nom que l'eau aussi féminise et vient imbiber de toutes parts, par la forte connotation nautique de sa sonorité, dès longtemps renforcée pour moi par l'emblème de la ville que je lisais sur la paroi de ses tramways jaune-crème : une nef sous voiles et la devise : Favet Neptunus eunti (Neptune favorise le voyageur). Nom plus fortement marié à l'élément liquide que la ville ne l'est elle-même, nom qui vient, sans vraie justification, enluminer plus fréquemment qu'un autre les chansons de l'ancien folklore maritime. Ville difficile à cerner, emmitouflée dans son nom capitonné comme dans une défense élastique. Ni tout à fait terrienne, ni tout à fait maritime : ni chair, ni poisson - juste ce qu'il faut pour faire une sirène. » 
(Julien Gracq, La forme d'une ville)

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